Muhammadu Buhari, président de la République fédérale du Nigeria
Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, président de la République du Ghana
Abdalla Hamdok, premier ministre du gouvernement de transition du Soudan
Roch Marc Christian Kaboré, président de la République du Burkina Faso
Denis Sassou-Nguesso, président de la République du Congo (Congo-Brazzaville)
João Lourenço, président de la République d’Angola
Mohamed Bazoum, président de la République du Niger
La résurgence de la pandémie de Covid-19 en Inde devrait tous nous alarmer, tant son ampleur a le potentiel de déclencher une nouvelle série de crises économiques à travers le monde.
En Afrique, notamment, les prix des denrées alimentaires risquent de grimper en flèche, car 11 % des importations alimentaires proviennent de l'Inde - qui fournit notamment 25% du riz africain - et du Brésil, où la production alimentaire est également perturbée par le Covid.
Mais le gel des exportations de vaccins menace d’être encore plus dévastateur, tant le rebond africain, comme le rebond mondial, est lié aux progrès de la vaccination. C'est sur cette situation d’urgence que nous devons nous concentrer aujourd'hui pour préserver les vies, les moyens de subsistance et la croissance.
Le président Macron organise ce mardi un sommet sur le financement des économies africaines, pour discuter de la réponse mondiale à la crise et des impacts sur les pays africains à revenu faible et intermédiaire. Nous espérons que cet événement sera l’occasion de transformer le financement des économies africaines pour nous permettre d'investir dans une relance soutenable en Afrique.
Le FMI a souligné le risque de divergence dans la reprise et la croissance au niveau mondial. Pour l'Afrique, ce risque est aggravé par les effets de la crise indienne sur les exportations de vaccins et de nourriture, et par une pénurie continue de ressources pour répondre à la crise.
L'Afrique a répondu à la crise par l'innovation. Grâce aux technologies numériques, le Kenya a pu tracer les cas contacts et piloter ses dépenses de soutien à l’économie. Le programme de protection sociale "NOVISSI" du Togo utilise les paiements mobiles et les transferts électroniques de fonds pour soutenir les ménages vulnérables et les travailleurs du secteur informel. Au Sénégal, le robot "Doctor Car" a été déployé pour réduire le risque de contamination des patients aux soignants. Au Nigeria, un jeune étudiant en ingénierie a créé un système de ventilateur portable pour assainir l’air intérieur. Au Burkina Faso, des transferts en ligne ont permis d’aider les femmes et les groupes vulnérables face à la crise.
Toutes ces innovations qui ont sauvé des vies et protégé les moyens de subsistance ont pu être financées grâce aux liquidités supplémentaires offertes par l’initiative de suspension du service de la dette du FMI, ou par l'accès au marché. Mais pour de nombreux pays à revenu intermédiaire, l'accès au marché est resté onéreux malgré de bons fondamentaux. Leur capacité à se redresser, à créer des emplois et à investir durablement a été entravée.
Les économies réalisées grâce à l'allocation de droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI et à son initiative de suspension du service de la dette mettront environ 42 milliards de dollars à la disposition des pays africains, ce qui, bien qu'important, ne représente qu'une fraction du déficit de financement de l'Afrique. Pour se remettre de la pandémie, l'Afrique doit combler un déficit de financement d'environ 425 milliards de dollars au cours des trois prochaines années.
Une solution est à portée de main. À l'instar des innovations que les pays africains ont mises en place dans leurs pays respectifs pour lutter contre la pandémie et la contraction économique, la communauté internationale pourrait faire preuve d'audace et de courage et adopter des instruments novateurs qui non seulement contribueront à uniformiser les règles du jeu pour les économies africaines en leur donnant accès au marché, mais aussi à fournir les liquidités indispensables à la relance.
L'émission et la redistribution de DTS à hauteur de 650 milliards de dollars doit permettre aux gouvernements africains d’obtenir des financements beaucoup plus avantageux pour la relance et le développement à long terme de leurs économies.
A cet effet, nous proposons que soient réaffectés aux pays à revenu faible ou intermédiaire au moins 25 % des DTS, soit 162 milliards de dollars, pour stimuler la relance post-Covid et lutter contre la crise climatique. Nous proposons spécifiquement que ces DTS soient fléchés vers les trois facilités suivantes :
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au moins 100 milliards de dollars pour reconstituer le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) et éventuellement l'IDA-20 pour les pays à faible revenu (PFR) ;
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au moins 15 milliards de dollars pour la facilité pour l’accès mondial au vaccin ;
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30 milliards de dollars pour une Facilité de liquidité et de durabilité (LSF), dans le cadre de la réponse à la crise des pays à revenu intermédiaire, qui comprend un volet climatique ;
Les DTS réaffectés pourraient également être utilisés pour recapitaliser les banques publiques de développement africaines, dans l'esprit du sommet Finance en Commun.
Ces mesures permettront : i) de décaisser davantage de prêts à taux zéro et de mobiliser des financements concessionnels à plus grande échelle pour les pays à faible revenu - dont 36 pays africains - qui ont désespérément besoin de ces ressources pour faire face à la crise ; ii) d'accélérer le déploiement des vaccins sur tout le continent et de préserver des vies et des moyens de subsistance ; et iii) de mieux intégrer les pays africains ayant accès au marché dans les marchés financiers internationaux, tout en soutenant l'effort mondial d'investissement dans les objectifs de développement durable (ODD) et l'action climatique.
Si les États africains doivent supporter des taux d’intérêt plus élevés pour placer leur dette souveraine sur les marchés, c’est en partie à cause de leurs fondamentaux économiques, mais aussi du fait d’une prime d’illiquidité qui constitue une distorsion du marché. Nous pouvons uniformiser les règles du jeu en résolvant cette distorsion. Dans les économies avancées, de vastes marchés de pension-livrée ou "repo" contribuent à de meilleures conditions de liquidité. Aujourd'hui, le marché du repo représente 4500 milliards de dollars aux États-Unis et 7000 milliards de dollars dans la zone euro.
La crise présente une opportunité de créer un marché repo pour la dette africaine, par le biais d'une facilité de liquidité et de durabilité soutenue par des DTS. Ceci permettrait aux pays africains de s'engager davantage dans l'émission d'obligations vertes. A l’échelle mondiale, moins de 1 % de celles-ci proviennent actuellement d'Afrique. Cela pourrait aider à combler le manque de financement lié aux 500 milliards d'investissements nécessaires pour atteindre l'accès complet à l'électricité en Afrique d'ici 2030, conformément au 7ème ODD.
Le sommet Afrique-France devrait soutenir cette proposition, qui constitue un moyen durable d'accompagner le développement des pays à revenu intermédiaire. Pesant sur plus de 150 milliards d'euros d'émissions d'euro-obligations, le coût de la prime de liquidité sur le continent est un carcan qui sape la croissance à long terme et étouffe nos ambitions. Les problèmes croissants de viabilité de la dette en sont une indication claire.
Cette proposition offre aux pays contributeurs une solution à faible risque, flexible, transparente et transformationnelle pour assurer le financement de la relance post-Covid et d’un développement durable pour tous. Comme le dit le vieil adage africain, avec ce soutien, nous allons pouvoir pêcher et pas seulement nous faire offrir du poisson !
Nous appelons la France, le G7 et le G20 à travailler avec nous pour construire des institutions permettant d’assurer un développement durable de l'Afrique ; nous exprimons notre solidarité envers l'Inde en ce moment de grande incertitude ; et nous réaffirmons que personne ne sera en sécurité tant que tout le monde ne le sera pas.