QUARANTE-SEPTIÈME SESSION ORDINAIRE DU CONSEIL EXÉCUTIF
Allocution
de
M. Claver Gatete
Secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations Unies et
Secrétaire exécutif de la CEA
Malabo
10 juillet 2025
Monsieur Mahmoud Ali Youssouf, Président de la Commission de l’Union africaine
Monsieur Téte António, Ministre des relations extérieures de l’Angola et Président du Conseil exécutif de l’Union africaine,
Monsieur Simeón Oyono Esono Angue, Ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de la République de Guinée équatoriale,
Madame Selma Malika Haddadi, Vice-Présidente de la Commission de l’Union africaine,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les représentants,
Mesdames et Messieurs,
C’est pour moi un grand honneur de prendre la parole devant cet éminent Conseil exécutif à un moment particulièrement déterminant du parcours de développement de l’Afrique.
Je souhaiterais tout d’abord adresser mes remerciements au Gouvernement et au peuple de la République de Guinée équatoriale pour leur accueil chaleureux ainsi que pour l’excellente organisation de la présente session.
Je tiens également à exprimer ma profonde gratitude à la Commission de l’Union africaine, conduite par son Président, Monsieur Mahmoud Ali Youssouf, pour les efforts constants déployés en faveur de l’intégration et du développement du continent, ainsi que pour la convocation de cette session de la plus haute importance.
Nous nous réunissons dans un contexte marqué par une conjonction de crises à l’échelle mondiale : instabilité climatique, tensions géopolitiques accrues, contraction des financements du développement, niveaux d’endettement préoccupants et incertitudes économiques croissantes.
Ces vents contraires à l’échelle mondiale ne font que renforcer les défis structurels de longue date auxquels de nombreux pays africains sont encore exposés.
La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : comment faire face à cette crise multidimensionnelle ?
Certes, la croissance économique en Afrique connaît une reprise, mais celle-ci demeure insuffisante.
Le taux de croissance moyen enregistré en 2024, établi à 3,3 %, demeure inférieur au niveau de 3,8 % observé avant la pandémie. Parallèlement, le service de la dette absorbe environ 90 milliards de dollars par an, limitant fortement la capacité des États à investir dans les infrastructures essentielles et les services sociaux.
Dans le même temps, les financements à des conditions concessionnelles tendent à se raréfier, tandis que les flux de capitaux mondiaux se détournent progressivement des environnements perçus comme présentant un risque élevé.
Néanmoins, notre continent détient les leviers de son évolution future.
Il bénéficie d’une population jeune, d’une vaste base de consommateurs, de ressources naturelles encore sous-exploitées et, tout aussi important, d’une zone de libre-échange continentale porteuse d’un potentiel sans précédent.
C’est pourquoi la Commission économique pour l’Afrique (CEA) affirme que le commerce et l’investissement sont les deux moteurs essentiels d’une croissance inclusive, de la création d’emplois et de la mobilisation des ressources nationales.
Dans cette perspective, je souhaite soumettre à votre attention cinq actions stratégiques visant à traduire notre vision commune en résultats mesurables.
Premièrement, nous devons accélérer la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Cette zone de libre-échange, la plus ambitieuse initiative économique du continent depuis la création de l’Organisation de l’unité africaine, recèle un potentiel considérable de transformation structurelle des économies africaines
D’ici à 2045, la ZLECAf pourrait accroître le commerce intra-africain de 45 %, tout en favorisant la croissance de plusieurs secteurs : 60 % dans l’agroalimentaire, 48 % dans l’industrie manufacturière, 34 % dans les services, et 28 % dans les secteurs de l’énergie et des industries extractives.
Nous devons cependant veiller à ce que cet accord commercial ne demeure pas lettre morte.
À cet égard, le rôle du secrétariat de la ZLECAf est fondamental et devrait être fortement soutenu.
Le principal défi réside désormais dans la mise en œuvre, laquelle suppose un alignement cohérent des politiques, la levée des obstacles existants et un investissement accru dans les capacités de production.
Je tiens à souligner le rôle déterminant des communautés économiques régionales dans la mise en œuvre de la ZLECAf.
Dans cette perspective, la CEA se tient prête à appuyer les États membres au moyen d’outils, de données et de stratégies ciblées, afin de rendre pleinement opérationnels les protocoles se rapportant à la ZLECAf, notamment ceux relatifs à l’investissement, aux services et au commerce numérique. La Commission soutient également la participation des États à des actions telles que l’Initiative de commerce guidé.
Deuxièmement, il est essentiel d’atténuer les facteurs de risque perçus en Afrique afin de mobiliser les investissements indispensables au développement.
Tant que l’Afrique sera considérée comme une région à haut risque, elle continuera d’être marginalisée dans les circuits mondiaux de capitaux.
Mais ces risques sont-ils réels ou reposent-ils sur une perception erronée ?
L’Afrique ne souffre pas d’un manque de possibilités : elle pâtit d’un déficit de confiance dans la manière dont ces possibilités sont évaluées.
Il est inacceptable que, plus de 60 ans après l’accession de la majorité des pays africains à l’indépendance, seuls deux d’entre eux soient actuellement classés dans la catégorie « investissement de qualité ».
C’est pourquoi la CEA continue de plaider en faveur de la création d’une agence de notation africaine, capable de refléter objectivement les fondamentaux économiques du continent, plutôt que de s’appuyer sur des cadres d’analyse influencés par des biais extérieurs.
Parallèlement, il est indispensable de renforcer les marchés de capitaux régionaux, afin de mobiliser des ressources à long terme pour les investissements du secteur privé, de favoriser l’émission d’obligations en monnaie locale et de promouvoir des mécanismes de financement mixtepermettant d’orienter l’épargne intérieure vers des secteurs stratégiques tels que les infrastructures, l’industrie et l’économie verte.
Troisièmement, il faut intensifier le développement des chaînes de valeur régionales et tirer pleinement parti du potentiel des zones économiques spéciales.
À ce jour, 94 chaînes de valeur prioritaires ont été recensées sur le continent dans des secteurs clés tels que les filières agroalimentaires et pharmaceutiques, la fabrication de batteries et les services numériques.
En outre, il est prévu de créer plus de 200 zones économiques spéciales sur l’ensemble du continent, en vue de favoriser les regroupements, l’innovation et les économies d’échelle.
Le potentiel est immense, à condition toutefois d’aligner les politiques industrielles avec les possibilités offertes par la ZLECAf, et de veiller à ce que les zones économiques spéciales deviennent de véritables moteurs de compétitivité régionale.
La CEA est prête à accompagner les États membres dans cette démarche.
Quatrièmement, nous devons procéder à la transition numérique des systèmes fiscaux, simplifier les régimes d’imposition et intégrer le secteur informel dans l’économie formelle.
L’Afrique pourra-t-elle réellement assurer le financement de son propre développement tant que la majorité de ses entreprises resteront en dehors du système formel ?
À l’heure actuelle, la plupart des entreprises du continent exercent leurs activités hors du secteur formel, ce qui nuit à la productivité, réduit les recettes fiscales et restreint l’accès au crédit ainsi que les perspectives de croissance.
Pour y remédier, il est impératif de simplifier les systèmes fiscaux, de rationaliser les procédures d’enregistrement des entreprises et de procéder à la transition numérique des services fiscaux afin d’en accroître l’efficacité, la transparence et la conformité.
Il est tout aussi essentiel de mettre en place des mesures incitatives, telles que des exonérations fiscales ciblées en faveur des investisseurs jugés prioritaires, ainsi qu’un appui transitoire pour les entreprises du secteur informel, en particulier celles dirigées par des femmes et des jeunes.
Cinquièmement, la résilience climatique doit être envisagée comme une composante indissociable de la transformation économique.
L’Afrique, qui émet moins de 4 % des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, est l’une des régions les plus exposées aux effets de la crise climatique.
Qu’il s’agisse d’inondations, de sécheresses, de cyclones ou de désertification, les aléas climatiques érodent déjà jusqu’à 5 % du produit intérieur brut du continent chaque année.
Néanmoins, au-delà de la nécessité de plaider pour un financement équitable et juste de l’action climatique, l’Afrique doit désormais prendre l’initiative.
Le continent dispose en effet de capacités importantes pour devenir un acteur de premier plan en matière d’industrialisation verte, de déploiement des énergies renouvelables et de développement d’une agriculture intelligente face aux changements climatiques.
Mesdames et Messieurs,
Ces cinq domaines d’action prioritaires – le commerce, l’investissement, l’industrialisation, la mobilisation des ressources nationales et la résilience climatique – ne doivent pas être appréhendés séparément.
Ils constituent des leviers étroitement interdépendants de la transformation structurelle.
Nous ne partons pas de rien.
Toutefois, les progrès accomplis dans de nombreux pays africains doivent désormais être développés à plus grande échelle.
La question n’est plus de savoir ce qu’il convient de faire, mais d’agir avec l’urgence requise.
La CEA demeure pleinement engagée aux côtés des États membres sur cette voie, en leur apportant un appui technique rigoureux, des données fiables, des outils d’aide à la décision et des partenariats stratégiques, afin de bâtir une Afrique intégrée, prospère et résiliente sur des bases solides.
Je vous remercie.