Allocution
De
Aboubakri Diaw
Directeur de cabinet et Directeur par intérim de la Division du genre, de la lutte contre la pauvreté et de la politique sociale
Commission économique pour l’Afrique (CEA)
Centre de congrès Speke Resort, Munyonyo, Kampala, République d’Ouganda
7 avril 2025
Honorable Betty Amongi Akeni, Ministre du genre, du travail et du développement social de l’Ouganda
M. Aggrey David Kibenge, Secrétaire permanent, Ministère du genre, du travail et du développement social de l’Ouganda
M. James Macbeth Forbes, Directeur de la coopération - GIZ
Mme Anna Mutavati, Directrice régionale d’ONU Femmes pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe
Honorables Ministres,
Distingués participants,
Mesdames et Messieurs,
Prenez quelques secondes pour imaginer une Afrique où chaque femme a le même accès aux opportunités, à la technologie et au leadership que son homologue masculin. Ce n’est pas un rêve, c’est un impératif économique.
Au nom de la CEA, permettez-moi d’exprimer ma reconnaissance au Gouvernement et au peuple ougandais pour nous avoir invités à coorganiser ce Forum sur le genre en marge de la onzième session du Forum régional africain pour le développement durable. Cet évènement, qui arrive à point nommé, souligne notre engagement commun à tirer parti de la science et de solutions fondées sur des données probantes pour bâtir un avenir inclusif, sensible au genre, durable et équitable pour tous.
Excellences, distingués invités, Mesdames et Messieurs,
L’égalité des sexes n’est pas seulement un objectif. C’est le fondement – le socle – de la transformation sociale et économique. Intégrer l’égalité des sexes à l’innovation numérique, aux infrastructures de soins et aux systèmes de données n’est pas une option ; c’est primordial. En donnant aux femmes l’accès à la technologie, nous libérons l’entrepreneuriat, la participation au marché et l’innovation. Investir dans les infrastructures de soins libère du temps et des talents. Et les données ventilées par sexe ? Elle révèle l’invisible, permet aux politiques de servir ceux qu’elles négligent souvent. Lorsqu’ils sont combinés, ces éléments deviennent un multiplicateur de force pour une croissance inclusive.
Pourtant, les chiffres sont éloquents. L’Indice de genre en Afrique de la BAD et de la CEA pour 2023 s’élève à seulement 50,3 %, un rappel brutal que nous n’en sommes qu’à la moitié du chemin. À mi-chemin de l’égalité. À mi-chemin des opportunités. À mi-chemin de l’autonomisation. Si nous ne relançons pas nos efforts, l’Afrique risque de retarder de 65 ans le rêve de l’ODD 5, repoussant l’objectif à 2094. C’est inacceptable.
Nous devons changer de vitesse. Nous devons accélérer les progrès, car le temps presse.
À seulement cinq ans de 2030, l’échéance des ODD, nous devons marquer une pause, réfléchir et repenser nos stratégies. Il ne s’agit pas de petits progrès. Il s’agit de transformation. Il s’agit d’aligner nos actions sur l’Aspiration 6 de l’Agenda 2063, tout en créant des emplois décents et une prospérité inclusive.
Nous avons réalisé des progrès indéniables. Le mariage des enfants est en baisse. De plus en plus de femmes accèdent à des postes de direction. De plus en plus de filles terminent leurs études secondaires. Mais soyons honnêtes : le chemin est encore long. Trop de femmes et de filles sont encore confrontées à des obstacles systématiques, qu’il s’agisse d’accès au travail, à la terre, au leadership ou au capital.
Le mois dernier, une jeune entrepreneure me confiait : « Je peux innover, mais je ne peux pas enregistrer de terres à mon nom ». Son histoire n’est pas rare. C’est une histoire courante.
Pensez-y : les femmes gagnent moins. Possèdent moins. Dirigent moins. Et pourtant, elles assument davantage. Plus de responsabilités. Plus de fardeaux. Plus de résilience.
Elles gagnent 21 % de moins que les hommes. Possèdent moins de 20 % des terres agricoles. Elles ne disposent que des trois quarts environ des droits reconnus aux hommes. Ces inégalités ne freinent pas seulement les femmes. Elles nous freinent tous.
Pour véritablement accélérer la création d’emplois tenant compte des sexes et une croissance économique inclusive, nous devons libérer tout le potentiel des femmes et des filles d’Afrique.
À la CEA, nous examinons sept priorités stratégiques qui, nous l’espérons, éclaireront la Déclaration de Kampala et unifieront la voix de l’Afrique sur la scène internationale cette année :
Premièrement, l’autonomisation juridique. Renforcer les cadres juridiques et politiques. Les faire respecter. Garantir les droits fonciers des femmes et améliorer l’accès au crédit. Donner aux femmes les outils nécessaires pour investir dans elles-mêmes, leur famille et leurs entreprises.
Deuxièmement, les soins non rémunérés comme moteur économique. Les femmes assument près de quatre fois plus de travail de soins non rémunéré que les hommes. Il est temps de transformer ce défi en opportunité. Avec des politiques adaptées, les infrastructures de garde d’enfants et de soins aux personnes âgées pourraient créer près de 300 millions d’emplois, dont jusqu’à 90 % des bénéficiaires seraient des femmes.
Troisièmement, une protection sociale qui reconnaisse les soins. Les gouvernements doivent donner la priorité aux investissements dans une protection sociale tenant compte des sexes. Les dépenses ne représentent en moyenne que 3,8 % du PIB. Ce n’est pas suffisant. L’éducation de la petite enfance reste sous-financée. Nous devons faire davantage.
Quatrièmement, réduire la fracture numérique entre les sexes. En Afrique, les femmes ont 19,2 % moins de chances de posséder un téléphone portable et 27,6 % moins de chances d’utiliser Internet. Il ne s’agit pas seulement d’une fracture numérique, mais d’un écart de prospérité. La technologie doit devenir un outil d’inclusion, et non d’exclusion. Les partenariats public-privé sont essentiels.
Cinquièmement, les données comme catalyseur du changement. Les données ne sont pas seulement une question de chiffres, mais de visibilité. Si les femmes restent invisibles dans nos statistiques, elles resteront exclues de nos politiques. Ce que nous ne pouvons pas mesurer, nous ne pouvons pas le transformer. Les données nous donnent le pouvoir non seulement de voir, mais aussi d’agir. Nous devons renforcer les systèmes statistiques nationaux et exploiter des sources non traditionnelles telles que les méga données, l’IA et d’autres technologies de pointe.
Sixièmement, la représentation dans la prise de décision. Les femmes n’occupent que 26 % des sièges parlementaires et 36 % des postes de direction en Afrique. La représentation est importante. La voix est importante. L’inclusion est importante. Nous devons encadrer les filles, promouvoir la place des femmes et créer des cadres qui rendent le leadership équitable.
Septièmement, financer l’égalité des sexes. C’est un enjeu non négociable. L’Afrique traverse une période charnière. L’aide diminue. Le surendettement s’accroît. La marge de manœuvre budgétaire se resserre. Nous devons accroître les ressources nationales par des réformes fiscales audacieuses, l’intégration du secteur informel, la lutte contre les flux financiers illicites, la valorisation du potentiel vert de l’Afrique et la mise en œuvre d’une budgétisation sensible au genre. Il est temps d’agir.
Concluons ce Forum non seulement avec des déclarations, mais aussi avec des échéances. Que chaque institution ici présente s'engage à prendre trois mesures mesurables et transformatrices, avant notre prochaine réunion. La responsabilité doit commencer par nous.
Pour conclure, j’exhorte chacun d’entre vous à réfléchir : quels obstacles pouvez-vous contribuer à lever ? Quel potentiel inexploité pouvez-vous libérer ? Quel héritage laisserez-vous aux femmes et aux filles africaines ?
La prochaine Conférence sur le financement du développement et le deuxième Sommet mondial pour le développement social seront des moments décisifs. Soyons prêts, non seulement avec des mots, mais avec de la volonté. Non seulement avec une vision, mais avec un engagement. Non seulement avec des plans, mais avec un objectif.
Quittons ce Forum avec un objectif renouvelé : celui de défenseurs de la justice respectueuse de l’égalité des sexes, d’artisans du progrès et de champions du changement.
Ensemble, nous pouvons créer un avenir où l’égalité des sexes ne soit pas seulement une promesse, mais une expérience vécue, ancrée dans la dignité, l’empathie et l’humanité partagée. Un avenir où chaque fille se sent importante, chaque femme sait qu’elle a sa place et chaque garçon grandit en comprenant le pouvoir de l’égalité et du respect.
Merci.