Par Hiroyuki Saito - Qu’il s’agisse d’élargir les filets de sécurité sociale, d’améliorer la gouvernance ou de stimuler le commerce intra-africain, l’Économiste en chef d’un organisme régional des Nations Unies en Afrique propose une série de mesures pour renforcer la résilience de l’Afrique face aux risques et aux incertitudes découlant de la crise ukrainienne, qui a détérioré les retombées sociales et économiques de la pandémie de COVID-19.
S’adressant virtuellement à 130 participants en ligne, dont des coordonnateurs résidents, des économistes et d’autres membres du personnel des Nations Unies dans 54 pays africains, Hanan Morsy, Secrétaire exécutive adjointe et Économiste en chef, à la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), a fait une présentation sur les effets négatifs de la crise ukrainienne, soulignant les inégalités croissantes dans les économies africaines, les nouvelles perturbations de la chaîne d’approvisionnement et l’aggravation des niveaux de tension socio-économique dans un contexte de chocs mondiaux persistants.
L’Ukraine et la Russie sont deux des principaux fournisseurs mondiaux de produits agricoles, d’engrais et d’énergie. « Ces deux pays représentent à eux deux, la moitié de la part du marché mondial de l’huile de tournesol, par exemple ; un tiers de la production mondiale de blé provient d’Ukraine et de Russie, et ils fournissent près d’un cinquième du maïs dans le monde », déclare-t-elle.
La CEA estime que les prix des denrées alimentaires ont atteint leur plus haut niveau en 14 ans, en mars. Les prix du pétrole ont atteint leur plus haut niveau depuis 2008. Les prix des engrais ont également explosé.
« Si nous examinons les ouvertures d’échanges entre les pays africains, la Russie et l'Ukraine à un niveau global, ce n'est pas si important. Mais le problème ici est la concentration. Les importations africaines en provenance de Russie et d'Ukraine sont concentrées sur quelques produits et pays », a déclaré Mme Morsy.
Elle indique que les dix principaux pays africains importateurs de produits ukrainiens et russes – l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, la Libye, le Maroc, le Nigéria, le Sénégal, l’Afrique du Sud, le Soudan et la Tunisie - sont exposés à la crise car ils dépendent fortement des importations de blé et de maïs.
« Il est important de rappeler que ces dix pays constituent la moitié de la population de l’Afrique et les deux tiers du Produit intérieur brut du continent. Ainsi, même s’il ne s’agit que de dix pays, il y a des répercussions importantes pour l’Afrique dans son ensemble, y compris des risques imminents pour la sécurité alimentaire », dit-elle.
En outre, les ménages à travers le continent dépensent l’essentiel de leurs revenus en nourriture, bien plus que dans toute autre région du monde. Une augmentation des prix des denrées alimentaires se traduit par une augmentation des dépenses personnelles et un impact négatif sur le niveau de vie et la qualité de vie.
Mme Morsy suggère que les pays africains conçoivent des filets de sécurité sociale ciblés pour atténuer les effets de la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie sur les plus vulnérables, améliorer la gouvernance et mettre un terme à toute fuite de revenus.
Elle dit aux coordonnateurs résidents que les exportateurs nets d’énergie verraient des gains et une certaine amélioration de leur situation financière et de leur solde courant. En revanche, 43 pays africains, importateurs d’énergie et de produits alimentaires, devraient faire face à des pressions sur leurs soldes budgétaires et courants. Les pays exportateurs de pétrole devraient utiliser les gains exceptionnels pour soutenir la reprise économique et reconstituer leurs marges de manœuvre.
Les coordonnateurs résidents participant à la réunion réaffirment que les effets sociaux et économiques de la crise ukrainienne se font déjà sentir au niveau national.
Elena Panova, Coordonnatrice résidente en Égypte, déclare qu’entre 2018 et 2020, 80 % du blé importé provenait d’Ukraine et de Russie vers le pays. En mars, le gouvernement a publié un décret fixant les prix du pain non subventionné en réponse d’urgence à la flambée de l’inflation.
Elle souligne que le Gouvernement égyptien a rapidement introduit une série de mesures d’urgence pour atténuer les effets économiques de la guerre en Ukraine, notamment en affectant 148 millions de dollars supplémentaires au budget national pour couvrir 450 000 nouvelles familles dans le cadre des programmes de protection sociale.
Mme Panova souligne que les propositions de valeur de l’ONU pourraient inclure la fourniture d’une évaluation rapide des effets de la crise sur les personnes les plus vulnérables en Égypte et continuer à apporter un appui au gouvernement dans la deuxième vague de réformes économiques.
La discussion a également porté sur l’importance de transformer les défis qui affectent les économies africaines en opportunités, en utilisant l’Accord de libre-échange à l’échelle du continent comme point d’entrée.
« Nous devons plaider pour accélérer davantage le commerce entre nous car bon nombre de ces produits peuvent être trouvés dans d’autres pays africains », indique Siaka Coulibaly, Coordonnatrice résidente de l’ONU au Sénégal.
Il ajoute que l’Afrique doit saisir cette opportunité importante de renforcer ses atouts avec un commerce plus fluide entre les pays africains et de réaliser des réformes structurelles plus profondes de l’agriculture qui favoriseront l’industrialisation.
Participant au webinaire en ligne depuis l’Angola, Zahira Virani, Coordonnatrice résidente de l’ONU, précise également la perspective d’un pays, déclarant que la guerre en Ukraine pourrait avoir des répercussions mitigées dans un contexte socio-économique angolais vulnérable.
Elle souligne la situation difficile de la sécurité alimentaire dans le pays, où les provinces du Sud-Ouest connaissent la pire sécheresse depuis 40 ans, avec environ 5 millions de personnes souffrant d’une consommation alimentaire insuffisante dans un pays de 33 millions d’habitants, selon le Programme alimentaire mondial.
Malgré les efforts de diversification actuels visant à réduire la dépendance aux importations alimentaires, les importations de blé en provenance de Russie ont considérablement augmenté au cours des dernières années, passant d’environ 45 millions de dollars américains en 2020 à environ 65 millions de dollars américains en 2021.
Mme Virani déclare toutefois que la flambée des prix du pétrole et les éventuels gains exceptionnels dans les budgets publics pourraient offrir aux pays dépendants du pétrole, tels que l’Angola, l’occasion d’accroître leur marge de manœuvre budgétaire et de stimuler les investissements dans les secteurs productifs et sociaux pour une transformation plus inclusive et plus efficace de l’économie.
« La pandémie de COVID-19 a annulé les gains durement acquis en matière de réduction de la pauvreté en Afrique, plongeant 47 millions de personnes dans l’extrême pauvreté, augmentant les nouveaux pauvres de 55 millions et ajoutant 46 millions de personnes à celles qui sont exposées au risque de faim et de sous-alimentation », déclare Mme Morsy.
« Même avant la crise ukrainienne, la pandémie de COVID-19 avait déjà entraîné la pire récession économique en un demi-siècle en Afrique », explique-t-elle, « avec une contraction du PIB réel de 3 % en 2020 ».
La croissance du PIB réel de l’Afrique devrait se contracter de 0,7 point de pourcentage en raison de la crise ukrainienne, et l’inflation devrait augmenter de 2,2 points de pourcentage, poussant davantage de personnes dans l’insécurité alimentaire et la pauvreté.
« Les pays devraient tirer pleinement parti de la Zone de libre-échange continentale africaine, en augmentant le commerce intra-africain de l’agroalimentaire, de l’industrie et des services, afin de renforcer la résilience contre les chocs externes et de remettre sur les rails la reprise de l’Afrique après la COVID-19 », ajoute-t-elle.
Le webinaire en question visant à discuter des effets de la crise ukrainienne sur l’Afrique a été organisé, le 24 mars 2022 par la CEA et le Bureau régional pour l’Afrique du Bureau de coordination du développement des Nations Unies (DCO) et animé par Yacoub El-Hillo, le Directeur régional de DCO pour l’Afrique.