Addis-Abeba, 22 mars 2021 (CEA) - Bien que loin d’avoir atteint le bout du tunnel face à la crise de la Covid19, les pays africains doivent initier dès maintenant une réforme profonde de leurs économies pour préparer leur avenir, car le retour au modèle économique d’avant la pandémie est désormais impossible.
Si aujourd’hui les urgences causées par la pandémie nécessitent un soutien accru de la communauté internationale à l’Afrique dans le cadre d’un multilatéralisme modernisé, il reviendra aussi et surtout au continent de prendre en charge son avenir en bâtissant un partenariat d’un genre nouveau avec le secteur privé – aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’international - de manière à sécuriser les financements nécessaires pour la reprise économique et limiter les répercussions à moyen et long terme de la crise.
Tels ont été les messages de la table ronde de haut niveau « Le grand débat : Le système multilatéral était-il préparé pour la crise de la Covid-19 et le secteur privé en a-t-il fait assez ? » organisée dans le cadre du segment ministériel de la Cinquante-troisième session de la Conférence des ministres africains des Finances, de la Planification et du Développement Economique, lundi 22 mars 2021.
Aujourd’hui, le lancement des vaccinations et les premiers résultats positifs des politiques de soutien à l’économie placent les pays développés en tête de course pour l’adaptation à la nouvelle donne économique post-Covid-19. Cependant, l’Afrique, grande oubliée des distributions de vaccins et qui a cruellement manqué de financement pour limiter l’impact de la crise sanitaire sur ses économies, est loin de voir le bout du tunnel.
Face à la crise, tous les pays ont adopté des mesures barrière, qui se sont traduites par une forme de retour au protectionnisme. Tout cela a entrainé une incertitude qui demeure malgré l’arrivée des vaccins, et maintenant, on parle de deuxième et de troisième vague et de l’apparition de nouvelles variantes du virus, a indiqué la Ministre gabonaise de l’Economie et de la Relance, Nicole Roboty.
Face aux implications potentielles de cette situation sur le développement à moyen et long terme du continent, et à l’impact, bien réel, que cela aurait sur le reste du monde, les experts appellent aujourd’hui à un soutien accru à l’Afrique, comme l’a indiqué Abebe Aemro Selassie, Directeur pour l’Afrique du FMI.
« Je pense que l’Afrique va traverser des années assez difficiles. Ce qui va se passer au cours des cinq à huit prochaines années dans la région est dans le plus grand intérêt de la communauté internationale. La transition démographique en cours à travers le continent signifie que, du point de vue démographique mais aussi à mon avis sur le plan économique, le 21ème siècle sera celui de l’Afrique », a souligné A. Selassie, qui a applaudi la récente décision du G7 d’accorder des Droits de tirage spéciaux (DTS) en faveur des pays en développement et vulnérables à la Covid19, une mesure qui devrait notamment bénéficier aux pays africains à revenu intermédiaire à l’instar du Gabon.
Toutefois, ici encore, le soutien international à l’Afrique ne pourra plus se faire sur le modèle du passé : il devra intervenir dans le cadre d’un multilatéralisme d’un type nouveau, post-Covid19, et faciliter le renforcement de la capacité du continent à naviguer les crises futures.
« Cette crise ne va pas être la dernière. Comme nous le savons tous, le système multilatéral actuel a été mis en place au milieu du XXème siècle, hors notre réalité a changé de manière fondamentale depuis », a indiqué Arkebe Oqubay, Ministre d’État, Conseiller spécial du Premier Ministre éthiopien et candidat de l’Afrique au poste de Directeur Général de l’ONUDI.
L’Afrique a besoin d’une décennie plus prévisible, caractérisée par une intervention coordonnée, aussi bien au niveau mondial que régional. Elle aura aussi besoin d’un système multilatéral redéfini. Ceci me parait crucial dans un contexte imprévisible [comme aujourd’hui], où il serait difficile de faire face aux crises sans interventions coordonnées, a ajouté A. Oqubay.
En plus du soutien des institutions internationales, l’Afrique devra aussi prendre des mesures cruciales, notamment sur des problématiques comme celle des vaccins, dont l’accès aura des implications économiques déterminantes pour le continent au cours de l’année à venir.
Le continent devra aussi saisir l’opportunité de la reprise post Covid-19 pour transformer ses économies, car un simple retour au modèle économique d’avant la pandémie ne suffira pas à générer suffisamment d’emplois pour les millions de jeunes qui arrivent tous les ans sur le marché du travail.
Pour y parvenir, des pays comme l’Ethiopie, le Gabon et le Nigéria sont aujourd’hui entrain de réorienter leurs priorités stratégiques, veillant ainsi à investir dans un développement durable et respectueux de l’environnement, mettre en place des écosystèmes industriels et accélérer leur transition énergétique.
« Nos pays regorgent d’opportunités de faire des affaires, notamment dans les secteurs de la santé et l’éducation. Certes, il y a des risques, mais il y a aussi des entreprises qui prospèrent depuis des années. Nous sommes à la recherche d’entreprises qui sont prêtes à établir des partenariats avec les entreprises locales et à grandir au Nigéria », a déclaré la Ministre nigériane des Finances, du Budget et de la Planification Nationale, Zainab Ahmed.
« Le Gouvernement éthiopien reconnait l’importance de l’industrialisation et des secteurs productifs pour garantir une croissance durable, et l’industrialisation nécessite la mise en place d’écosystèmes adaptés », a indiqué A. Oqubay.
En plus de ces efforts, il sera aussi important pour les Etats africains de revoir profondément leurs relations avec le secteur privé, aussi bien en interne qu’à l’international. Le secteur privé aura un rôle déterminant à jouer dans la reprise économique post Covid19 du fait de sa capacité à générer des emplois, mais la relation entre gouvernements et secteurs privés devra être revue, a prévenu Masood Ahmed, Président du think tank Center for Global Development (CGD), basé à Washington.
« Au début de la pandémie, les pays cherchaient à soutenir toutes les entreprises du secteur privé, car ils étaient confrontés à une situation d’urgence. Avec la reprise, on sait maintenant que certaines entreprises vont être viables mais pas d’autres, du fait de la transformation dupaysage économique », a-t-il expliqué.
Désormais, une conversation beaucoup plus complexe s’impose pour déterminer quel type d’entreprises pourront être soutenues et comment. Il faudra aussi déterminer les modalités de mise en place d’un partenariat fondé sur la compréhension mutuelle que l’avenir ne consistera pas en un simple retour aux anciennes pratiques, un certain degré d’accord sur les résultats visés, et un peu moins de rivalité entre les secteurs public et privé », a ajouté M. Ahmed.
Sur le plan international, les pays africains devront s’appuyer sur les marchés de capitaux, qui représentent 40% de la dette extérieure du continent, pour réduire le manque de financement qui limitait déjà le développement de l’Afrique avant la crise, et qui à présent peut devenir une menace pour la reprise économique post Covid-19.
Pour apprivoiser les marchés de capitaux, les pays africains devront investir dans la confiance des investisseurs.
Dans les situations de choc économique passées, les investisseurs ont eu certes tendance à examiner les notations, des sources crédibles comme le FMI, mais aussi et surtout à s’observent les uns et les autres et à suivre le troupeau, a expliqué Alastair Wilson, Directeur exécutif et dirigeant du Moody's Sovereign Risk Group et Moody’s Investment Services.
Un comportement typique observé lors de crises précédentes a été la fuite massive de capitaux hors des pays identifiés comme étant à risque suivie d’un afflux de ces derniers chez les pays jugés plus rentables et moins risqués.
Ici, les agences de notations ne font pas partie du problème mais de la solution, car dans ce genre de marché, il est nécessaire d’avoir une voix mesurée qui peut amener un élément de stabilité, a indiqué A. Wilson.
Pour attirer et stabiliser les investissements extérieurs, les gouvernements africains doivent réduire les risques en renforçant la qualité de leurs institutions nationales, et prendre des mesures telles que le renforcement de la bonne gouvernance, la transparence, la facilité de faire des affaires, la lutte contre la corruption et l’investissement dans les infrastructures, la technologie et le capital humain.
Autant d’efforts significatifs que les pays africains devront fournir au cours des prochaines années pour atténuer l’impact de la crise économique actuelle.
« Il faudrait voir tout cela comme un marathon plutôt que comme un sprint. Un marathon qu’il faudra courir sur un terrain mondial en pleine transformation », a indiqué M. Ahmed.
L’enregistrement de la table ronde « Le grand débat : Le système multilatéral était-il préparé pour la crise de la Covid-19 et le secteur privé en a-t-il fait assez ? » du 22 mars 2021 est disponible : https://www.youtube.com/watch?v=b0xdgUVRwDM (de 4h20 mn à 5h43mn)
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