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Changement climatique : pour préserver ses économies, créer des emplois durables, l’Afrique du Nord doit changer de modèle de développement

8 octobre, 2025

Rabat, 8 octobre 2025 (CEA) - Particulièrement menacée par le changement climatique, l’Afrique du Nord doit sortir de la vision « la croissance d’abord, l’adaptation ensuite », qui n’est plus adaptée face au changement climatique. Elle doit au contraire bâtir un nouveau modèle de développement focalisé sur la résilience, plus sobre en ressources matérielles et financières et à même de générer des emplois de qualité, durables, et en quantité suffisante. 

Réunis en ligne le 1er octobre dernier à l’occasion du webinaire du Bureau de la CEA en Afrique du Nord « Tirer parti du financement climatique pour des emplois décents en Afrique : défis et opportunités » (Leveraging climate finance for decent jobs in Africa, challenges and opportunities), des experts de la CEA, de la CNUCED, de la Banque mondiale et du Groupe africain de négociateurs sur le changement climatique (AGN) ont dressé un constat sévère de l’impact du changement climatique en Afrique du Nord et examiné les options d’adaptation au phénomène. 

Considérée comme un des « points chauds » du changement climatique, l’Afrique du Nord est menacée, entre autres, par la hausse des températures, l’effondrement de ses ressources hydriques et la fréquence accrue des évènements extrêmes. Des phénomènes qui risquent de lui faire perdre jusqu’à 11% de son PIB par habitant pour une hausse de 1°C de la température mondiale moyenne – bien plus que les 8 % craints pour le continent africain dans son ensemble.  

Croître d’abord et s’adapter ensuite ? Une démarche dépassée et risquée

Nous entrons aujourd’hui dans une phase nouvelle du changement climatique que les modèles météorologiques ne peuvent pas encore estimer avec précision. Il est attendu que cette dernière soit caractérisée par un risque accru de chocs climatiques qui risquent d’engendrer des problèmes économiques, sociaux, sanitaires, et par conséquent une hausse de l’endettement des pays, contraints d’emprunter pour en réparer les dégâts. 

Le souci, c’est que si le PIB des pays diminue alors que leur dette augmente, nous risquons d’arriver à un stade où l’endettement ne sera plus soutenable, a prévenu Zoubir Benhamouche, économiste au Bureau de la CEA en Afrique du Nord. Face à cela, la démarche « la croissance d’abord, l’adaptation ensuite », est non seulement dépassée, elle est aussi risquée, surtout dans un contexte marqué par l’accès limité des pays au financement extérieur et son coût élevé.

Alors que l’Afrique du Nord, et le continent africain en général, ont du mal à opérer leur transformation structurelle, leurs économies se caractérisent par des taux de chômage et une fragilité de l’emploi élevés, surtout pour les femmes et les jeunes, il est attendu que le changement climatique entraîne une transformation structurelle forcée qui risque d’être défavorable à l’emploi si elle n’est pas convenablement anticipée et gérée.
  
« Le changement climatique risque d’avoir un impact négatif sur les moyens de subsistance alors que l’Afrique a besoin de générer plus de 15 millions d'emplois par an pour suivre sa dynamique démographique et stimuler la transformation structurelle. D'ici 2030, plus de la moitié des nouveaux arrivants sur le marché du travail mondial seront africains », a expliqué Giovani Valensisi, Economiste à la CNUCED. 

D’ici 2030, plus de la moitié des nouveaux demandeurs d’emploi dans le monde seront Africains 

Face à ces défis, les experts ont recommandé le passage à un modèle de développement caractérisé par une croissance moins gourmande en énergie et en matières premières, et dont les besoins de financement seraient par conséquent plus modestes. « Il est important de faire de la croissance qui ne soit pas trop polluante, mais qui donne des économies résilientes. Il est aussi crucial de gérer la transition vers ce nouveau modèle, car elle aura beaucoup d’implications sur les politiques économiques », a expliqué Zoubir Benhamouche. Une telle transition serait d’autant plus complexe qu’elle coïnciderait avec trois grands changements en cours : la montée en force de l’intelligence artificielle, qui met en question les recettes du passé en matière de développement ; la fragmentation géopolitique et économique ; et enfin le changement climatique, a-t-il ajouté. 

La transition vers un modèle plus sobre en carbone impliquerait une transformation structurelle accélérée et ciblée, avec la prise en compte de facteurs tels que l’évolution de la demande, l’innovation technologique, les changements réglementaires, la coordination des politiques, le développement de cadres de suivi, l’évolution du financement et la transition des main d’œuvre, a expliqué Giovanni Valensisi qui a souligné l’importance de cibler deux secteurs stratégiques : l’énergie, et l’agriculture. 

Nécessitant une transformation profonde, la transition vers une économie sobre en carbone est un processus qui peut prendre des décennies, d’où la nécessité d’un plan stratégique non seulement pour réduire les émissions, mais aussi pour transformer l’emploi et la création de valeur elle-même. Sur un plan plus positif, l’Afrique bénéficierait ici d’un avantage par rapport au reste du monde : En effet, la jeunesse de la population africaine signifie que les décideurs devront se concentrer sur le renforcement et l’amélioration des systèmes éducatifs existants - plutôt que re-former la main d’œuvre à l’instar des pays où la moyenne d’âge est plus élevée. Par ailleurs, les décideurs africains gagneraient à se focaliser sur le développement de l’apprentissage professionnel, moins coûteux en temps et en ressources, que les formations de haut niveau. Des réformes éducatives que les pays peuvent mener dans le cadre de partenariats avec des intervenants tels que le secteur privé et leurs diasporas. 

Financement : la réforme du système mondial est nécessaire, mais d’autres voies existent

Au-delà de la complexité de cette transformation se pose la problématique de son financement : Aujourd’hui, l’Afrique attire moins de 5% de la finance climatique mondiale alors que le coût de son adaptation au changement climatique est estimé à 30 à 50 milliards de dollars par an sur les dix prochaines années, soit 2% à 3% du PIB continental. A ce défi s’ajoute le fait que le système financier mondial reste biaisé en faveur de la mitigation du changement climatique plutôt que l’adaptation ; sans oublier la problématique de la faiblesse de l’alignement entre finance climatique et politiques de transformation économique. 

Selon les experts, il est nécessaire que les pays continuent de lutter pour la réforme du système financier mondial, tout en recherchant des ressources financières alternatives, par exemple, auprès du secteur privé et de leurs diasporas, à travers une gestion améliorée des budgets nationaux ou l’adaptation des marchés publics de manière à inciter les entreprises soumissionnaires à adopter des démarches plus respectueuses de l’environnement. 

Selon le rapport de la Banque mondiale « Ctrl-Alt-Delete : A Green Reboot for Emerging Markets - Key Sectors for Post-COVID Sustainable Growth » (Ctrl-Alt-Suppr : Un redémarrage vert pour les marchés émergents – Secteurs clés pour une croissance durable post-COVID), l’investissement de 200 milliards de dollars dans sept secteurs spécifiques peut permettre la création de 4.2 millions d’emplois, réduire les émission de CO2 de 111 millions de tonnes, et permettre la création de 10 million d’emplois supplémentaires à l’horizon 2050 à travers la décarbonation et les industries propres.   

« Nous devrions utiliser le financement qui réponde au mieux aux besoins des pays. Sur le plan des politiques, nous devons réfléchir en premier lieu aux moyens de favoriser une croissance verte et résiliente. Comment, par exemple, apporter des financements aux PME, qui présentent le plus fort potentiel pour la création d'emplois ? La croissance verte et la résilience doivent être au cœur des priorités des décideurs », a expliqué Syed Adeel Abbas, Coordinateur régional pour le changement climatique auprès de la Banque Mondiale. 

Autant d’aspects sur lesquels la Commission économique pour l’Afrique peut apporter un soutien concret à ses pays membres : A la CEA, nous concentrons nos efforts sur trois domaines fondamentaux, a expliqué Nassim Oulmane, économiste à la CEA et responsable de la Division chargée des Ressources Naturelles et de l’Economie Verte et Bleue au sein de la Direction du Changement Climatique, de la Sécurité Alimentaire et des Ressources Naturelles de la CEA.  « Premièrement, nous travaillons à réformer l’architecture de la finance climat, au niveau global mais également sur le continent, à travers le développement d’instruments financiers innovants favorables à nos pays tels que des échanges dette contre nature, l’émission d’obligations vertes, bleues ou souveraines, ou encore des obligations régionales pour aider les pays à accéder à des capitaux sans aggraver leur surendettement », a-t-il indiqué, et de poursuivre : « Deuxièmement, nous démontrons qu’investir dans les secteurs verts peut contribuer à créer des millions d’emplois tout en développant les infrastructures résilientes dont nos économies ont besoin. Enfin, nous posons les bases politiques pour une transition juste, avec le soutien au développement des cadres nécessaires pour des réformes ciblées, capables de créer un environnement propice aux investissements verts et des emplois de qualité ». 


Accédez à la version intégrale des débats ici : 
https://youtu.be/WhPrySk3p6U


Requêtes médias : 
Houda Filali-Ansary, Chargée de la communication Bureau sous-régional de la CEA pour l’Afrique du Nord 
Courriel : filali-ansary@un.org

Publié par : 
Section de la communication Commission économique pour l’Afrique 
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