SOMMET ANNUEL DU FORUM SUR LES SYSTÈMES ALIMENTAIRES EN AFRIQUE
Session plénière : Systèmes alimentaires, échanges et marchés –
Relier entre eux les corridors alimentaires et les chaînes d’approvisionnement alimentaires
Thème :
« Jeunesse africaine : diriger la collaboration, l’innovation et la mise en œuvre de la transformation des systèmes agroalimentaires »
Déclaration
Au nom du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies
Par
M. Claver Gatete
Secrétaire général adjoint des Nations Unies et Secrétaire exécutif de la CEA
Dakar,Sénégal 3 septembre 2025
Son Excellence Monsieur Bassirou Diomaye Faye, Président de la République du Sénégal,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les représentants, Mesdames et Messieurs,
C’est un privilège de m’adresser à vous aujourd’hui au Sommet annuel du Forum africain sur les systèmes alimentaires, sous le thème « Jeunesse africaine : diriger la collaboration, l’innovation et la mise en œuvre de la transformation des systèmes agroalimentaires ».
Je transmets les salutations chaleureuses du Secrétaire général des Nations Unies,
M. António Guterres.
Il avait espéré se joindre à nous, mais des circonstances indépendantes de sa volonté l’en ont empêché.
Néanmoins, il nous fait part de son appui sans faille à notre mission commune, qui est d’accélérer la transformation des systèmes alimentaires en Afrique.
C’est un honneur particulier d’être ici à Dakar sous la direction du Président de la République, Son Excellence Monsieur Bassirou Diomaye Faye, dont la vision du développement durable et de la transformation de l’agriculture est une source d’inspiration non seulement pour le Sénégal, mais aussi pour l’ensemble du continent.
Je remercie également le Gouvernement et le peuple sénégalais pour leur aimable hospitalité, et je félicite le groupe des partenaires du Forum africain sur les systèmes alimentaires et l’Alliance pour une révolution verte en Afrique d’avoir organisé cette réunion opportune.
Excellences,
Mesdames et Messieurs les représentants,
Nous nous réunissons à une époque de difficultés profondes.
Partout sur notre continent, les chocs climatiques, l’appauvrissement de la biodiversité, le coût élevé des capitaux et le surendettement convergent pour ralentir la transformation agricole.
Pour de nombreux pays, ces pressions se traduisent par une hausse des coûts d’emprunt, une réduction de la marge de manœuvre budgétaire et un sous-investissement dans l’agriculture, l’infrastructure et le capital humain.
En effet, nous ne sommes pas simplement confrontés à un problème de production alimentaire, mais bien à un enjeu de développement, une situation où nous voyons l’insécurité alimentaire entrer directement en concurrence avec les investissements nécessaires pour stimuler la croissance économique, l’emploi, l’innovation et la résilience.
Nous ne pouvons plus rester les bras croisés.
La question est : comment donner libre cours au potentiel agricole de l’Afrique, et à quelle vitesse pouvons-nous agir ?
Commençons par les faits.
L’Afrique détient plus de 60 % des terres arables du monde et a le potentiel de bâtir une industrie agroalimentaire valant 1 000 milliards de dollars d’ici 2030.
Malheureusement, malgré cet immense potentiel, l’Afrique a encore importé l’an dernier des denrées alimentaires d’une valeur allant jusqu’à 115 milliards de dollars.
Si un continent doté de telles ressources, d’une telle énergie conférée par sa jeunesse et d’une position aussi stratégique ne parvient pas à se nourrir lui-même et à nourrir le monde, il nous incombe de nous poser la question : de quoi manquons-nous, que nous faut-il pour changer de trajectoire ?
Tout d’abord, d’importants obstacles continuent de se dresser face à l’accès aux marchés, au développement des chaînes de valeur et à la connectivité régionale.
Comment les agriculteurs pourront-ils accéder aux marchés régionaux tant que les corridors de transport restent sous-développés, tant que les procédures aux frontières restent d’une extrême lenteur, tant que le marché de l’énergie et les systèmes numériques restent aussi fragmentés ?
Comment pouvons-nous mettre en place des chaînes de valeur résilientes si nous ne parvenons pas à préserver les denrées après leur récolte, si nous ne sommes pas en mesure de les déplacer efficacement à partir des régions excédentaires vers les régions déficitaires sous forme de produits bruts, intermédiaires ou finis ?
Ce qui nous amène au rôle central joué par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
En harmonisant nos normes, en supprimant les barrières non tarifaires, en investissant dans les infrastructures physiques et numériques, nous pourrons rendre le commerce intra-africain des denrées alimentaires plus rapide, plus abordable et plus fiable.
Des innovations telles que le Système panafricain de paiement et de règlement renforceront davantage la transparence et la confiance sur les marchés.
En outre, nous devons constater que le monde a bien changé, et que nous devons dépasser les anciens modèles de financement.
Les dépenses publiques ne peuvent à elles seules répondre à l’ampleur des investissements requis, et les financements concessionnels ne suffisent pas.
Cette réalité fait ressortir le besoin urgent de solutions globales permettant de combiner ressources publiques et privées, d’approfondir les marchés des capitaux et d’améliorer les notations de crédit.
Dans ce contexte, je propose six interventions prioritaires pour accélérer la transformation des systèmes alimentaires africains.
Premièrement, nous devons mettre en place des corridors alimentaires intégrés permettant de raccorder les différentes zones de production africaines aux principaux marchés nationaux et régionaux.
En modernisant les routes, les ports, les installations de stockage et la chaîne du froid, en accélérant la connectivité des pools énergétiques d’interconnexion électrique, et en simplifiant les procédures aux frontières, nous serons à même de réduire les pertes après récolte, d’assurer la livraison en temps voulu des différents produits, et de renforcer les fondements du commerce intrarégional.
Deuxièmement, nous devons pleinement mettre en œuvre la Zone de libre-échange continentale africaine, ce qui suppose d’harmoniser les normes, d’éliminer les barrières non tarifaires et de donner libre cours aux chaînes de valeur régionales.
L’Afrique a recensé 94 chaînes de valeur prometteuses, dont beaucoup concernent l’agriculture et qui, si elles sont correctement développées, permettront d’ancrer l’investissement privé, d’accroître la compétitivité, et permettront aux produits africains de rivaliser sur les marchés régionaux et mondiaux.
Troisièmement, nous devons réformer les systèmes de financement mondiaux, dont les pratiques de notation de crédit, afin de rendre compte des véritables forces de l’Afrique.
Nous savons que les dépenses publiques et les financements concessionnels ne suffisent pas face à l’ampleur des investissements requis.
Mais pourquoi les pays africains devraient-ils payer jusqu’à trois fois la moyenne mondiale pour leurs emprunts ?
En mobilisant les ressources nationales, en approfondissant les marchés de capitaux et en définissant des mesures d’incitation pour les investissements privés, nous pourrons réduire les coûts d’emprunt et accélérer l’investissement dans l’agriculture, les infrastructures numériques et les PME.
Nous devons nous efforcer de faire en sorte que davantage de pays, outre le Botswana et Maurice, obtiennent une note de qualité supérieure, afin que le véritable potentiel de l’Afrique soit reconnu à sa juste valeur par les marchés mondiaux. Cette vision pourra se concrétisée grâce à une hausse des recettes intérieures, à une évaluation transparente des risques et à une meilleure gouvernance financière.
C’est pour cette raison que la CEA contribue à la création d’une Agence africaine de notation, à même de fournir des évaluations du crédit équitables, transparentes et dirigées par l’Afrique, qui donneront une image fidèle des fondamentaux économiques du continent et ouvriront la voie à des financements abordables pour le développement.
Quatrièmement, nous devons transformer l’agriculture elle-même en promouvant la valeur ajoutée, l’adoption de la technologie et les pratiques climatiquement rationnelles.
Des initiatives telles que les zones de transformation agro-industrielle communes entre le Zimbabwe et la Zambie, et la Côte d’Ivoire et le Ghana, sont un excellent exemple de modèle évolutif pour les chaînes de valeur du maïs, des produits laitiers et du cacao.
En outre, l’Afrique a la capacité de produire ses propres engrais.
Certains pays, dont le Nigéria et le Maroc, disposent de réserves considérables de phosphate et sont à même de fournir des intrants essentiels sur le marché intérieur, afin de réduire notre dépendance à l’égard des importations, de réduire les coûts et de stimuler la productivité.
Cinquièmement, six Africains sur dix ont moins de 25 ans.
Cette réalité seule nous dit que la transformation de l’Afrique ne pourra être durable que si elle y associe sa jeunesse.
Pour saisir cette occasion, nous devons donner à nos jeunes les moyens d’agir en tant qu’innovateurs et entrepreneurs, en multipliant les incubateurs d’entreprises, en améliorant l’accès au foncier et au crédit, et en investissant dans de nouvelles entreprises agrotechnologiques dirigées par des jeunes.
De même, nos systèmes de formation professionnelle doivent évoluer en intégrant l’esprit d’entreprise et l’apprentissage pratique, de pair avec les chaînes de valeur modernes.
Par-dessus tout, les autorités publiques, le secteur privé et les partenaires de développement doivent œuvrer ensemble pour faire de cette force démographique un véritable moteur de prospérité inclusive.
Sixièmement, nous devons renforcer les partenariats – publics et privés, nationaux et internationaux – pour investir dans l’agriculture, l’entreposage, la chaîne du froid et d’autres systèmes logistiques résilients face aux changements climatiques.
Ces investissements réduiront considérablement les pertes de denrées périssables, amélioreront la productivité agricole et la sécurité alimentaire et accroîtront la compétitivité des marchés.
Excellences,
Mesdames et Messieurs les représentants,
Je peux vous assurer que le système des Nations Unies, dont font partie la CEA, la FAO, le FIDA, le PAM et le PNUD, reste engagé et prêt à collaborer avec les États membres pour mobiliser des ressources, attirer des investissements et mettre en place des systèmes alimentaires résilients.
Donner libre cours aux corridors alimentaires en Afrique nécessitera une harmonisation des politiques au sein de l’Union africaine, des communautés économiques régionales et entre les différents pays, ainsi qu’une rationalisation des procédures douanières.
Mais en fin de compte, c’est la volonté politique et notre capacité à impulser une action qui détermineront le succès de Dakar.
Alors que les jeunes Africains façonnent d’ores et déjà l’avenir agricole du continent, il nous incombe de répondre à leur ambition par des mesures d’accompagnement, un financement équitable et des partenariats transformateurs.
Je suis convaincu que nous partirons d’ici non seulement avec des déclarations, mais aussi avec des résultats : des corridors alimentaires interconnectés, des marchés intégrés, des jeunes dotés des moyens de leurs ambitions, des notations de crédit équitables et un continent qui se nourrit lui-même et qui nourrit le monde.
Je vous remercie.