Allocution d’ouverture de M. António Pedro au Forum des dirigeants africains
Forum des dirigeants africains
Sur le thème : Réaliser les objectifs de développement durable en Afrique – les progrès et la voie à suivre
Allocution d’ouverture de
M. António Pedro
Secrétaire exécutif adjoint chargé de l’appui aux programmes
7 avril 2025
Kampala, Ouganda
Excellences,
Anciens chefs d’État et de gouvernement,
Distingués dirigeants et collègues,
Mesdames et messieurs,
C’est un honneur pour moi de me joindre à vous cette année à l’occasion du Forum des dirigeants africains. Je vous adresse mes chaleureuses salutations au nom du Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, M. Claver Gatete.
Alors que nous sommes réunis aujourd’hui, notre tâche est à la fois urgente et claire. Nous sommes appelés non seulement à réfléchir aux Objectifs de développement durable, mais aussi à réaffirmer le leadership de l’Afrique dans leur réalisation. Au cœur de cette ambition se trouve une vérité simple et résolue : l’avenir du continent dépend de notre capacité à générer une croissance durable et inclusive, créatrice d’emplois décents pour tous.
Avec plus de 10 à 12 millions de jeunes Africains entrant sur le marché du travail chaque année, mais seulement environ 3 millions d’emplois formels créés chaque année, le fossé est vaste et se creuse. Parallèlement, plus de 76 millions de jeunes sur le continent sont privés d’emploi, d’éducation et de formation. Ces chiffres témoignent d’une défaillance systémique, qui exige une réponse systémique.
Le chômage, en particulier chez les jeunes, n’est pas seulement une préoccupation économique. Il constitue une menace pour la paix, la cohésion sociale et, in fine, pour la légitimité de notre modèle de développement. Sans emploi, l’espoir s’amenuise. Sans espoir, la stabilité s’affaiblit. Et sans stabilité, le développement devient impossible.
En revanche, lorsque nous plaçons l’emploi au cœur de nos programmes politiques – lorsque nous faisons de la création d’emplois non pas un sous-produit de la croissance, mais son principal moteur – nous ouvrons la voie à une prospérité inclusive, à la stabilité politique et à la transformation économique.
La réalisation de cette vision exige un leadership, à tous les niveaux et dans tous les secteurs. Les gouvernements doivent promouvoir des politiques qui élargissent l’accès à l’éducation, aux infrastructures, à la connectivité numérique et aux énergies propres, en particulier pour les communautés mal desservies. Le secteur privé doit investir non seulement dans le profit, mais aussi dans un but précis. Et la société civile doit être habilitée à demander des comptes à tous les acteurs pour obtenir des progrès réels et mesurables.
Ce moment appelle un nouveau pacte social, fondé sur la dignité, l’inclusion et le partage des opportunités. Nous devons veiller à ce que les femmes et les jeunes, souvent marginalisés, soient placés au cœur des marchés du travail, du développement des entreprises et de l’élaboration des politiques. Leur autonomisation n’est pas une charité, c’est une nécessité.
L’Afrique ne peut réaliser ses ambitions en s’appuyant uniquement sur l’exportation de matières premières. La transformation structurelle doit être accélérée. Nous devons passer de l’extraction des ressources à la création de valeur ajoutée, de la fragmentation à l’intégration, de la vulnérabilité à la résilience.
C’est pourquoi les activités en cours entre la République démocratique du Congo et la Zambie pour créer une Zone économique spéciale (ZES) transfrontalière pour les batteries et les véhicules électriques sont si cruciales. Ils illustrent comment l’Afrique peut transformer ses richesses minérales – le cobalt, le lithium, le manganèse – en une source d’industrialisation régionale et de compétitivité mondiale.
De même, grâce à la Zone de libre-échange continentale africaine, nous avons une opportunité sans précédent de développer nos industries, d’approfondir les chaînes de valeur et de renforcer le commerce intra-africain. Une analyse de la CEA montre que la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires au sein de la ZLECAf pourrait stimuler le commerce intra-africain de 45 % d’ici 2045, notamment dans les secteurs de l'agroalimentaire et des produits industriels.
Pourtant, l’intégration ne doit pas rester une aspiration abstraite. Elle doit être concrétisée par des investissements dans les corridors de transport, l’harmonisation des normes et la ratification des protocoles en attente de la ZLECAf, notamment sur la libre circulation, la concurrence et l’investissement.
La transformation dépend aussi des populations. Pourtant, nos systèmes éducatifs restent trop souvent déconnectés des réalités du marché du travail. En Afrique, plus de 80 % des jeunes étudiants aspirent à travailler dans des secteurs hautement qualifiés, mais seulement 8 % y parviennent. Nous devons de toute urgence réadapter l’éducation et la formation aux exigences actuelles et futures du marché du travail.
Il s’agit notamment de développer la formation professionnelle et technique, de favoriser les partenariats public-privé dans les domaines des sciences et des technologies, et d’intégrer l’entrepreneuriat et la culture numérique dans les programmes d’enseignement. Le travail de la CEA avec les universités et ses partenaires, par le biais d’initiatives telles que les pôles de recherche et d’innovation Origin et l’Alliance des universités entrepreneuriales en Afrique, vise à catalyser une génération de personnes capables de résoudre des problèmes, d’inventeurs et de créateurs d’emplois.
Ces efforts doivent être intensifiés. Nous avons besoin de centres d’excellence en STEM, en IA et en cybersécurité dans toutes les sous-régions, en nous appuyant sur les succès émergents de pays comme le Kenya, le Togo et le Congo.
Les technologies émergentes – l’IA, l’informatique quantique, la robotique – offrent à l’Afrique la possibilité de dépasser les modèles de développement obsolètes. Nous devons considérer ces frontières non pas comme des avenirs lointains, mais comme des priorités urgentes. Le marché mondial de l’IA devrait à lui seul atteindre 1 800 milliards de dollars des États-Unis d’ici 2030, mais l’Afrique n’en détient actuellement que 1 %.
Au-delà du numérique, nous devons également reconnaître le potentiel considérable et sous-exploité de l’économie des soins. Dans un monde où la population vieillit rapidement, l’Afrique dispose d’un avantage comparatif unique : une main-d’œuvre jeune et dynamique, capable de fournir des services à fort impact dans les domaines de la santé, de l’éducation de la petite enfance et des soins aux personnes âgées.
Les investissements dans les systèmes de santé communautaires, les centres d’apprentissage précoce et les infrastructures de soins de longue durée répondront non seulement à des besoins sociaux vitaux, mais créeront également des millions d’emplois, notamment pour les femmes. Des pays comme le Rwanda et le Ghana sont déjà pionniers dans la mise en place de modèles intégrés alliant la prestation de soins de santé à l’entrepreneuriat et au développement des compétences.
Mais, alors que nous nous efforçons de croître et de nous transformer, nous devons également être lucides quant aux contraintes externes auxquelles nous sommes confrontés.
L’essor des cadres environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), bien que bien intentionnés, impose souvent des attentes et des coûts qui ne correspondent pas au contexte de développement de l’Afrique. Des exigences de certification complexes, des normes incohérentes et des définitions de la durabilité centrées sur le Nord risquent d’exclure les producteurs africains des marchés mondiaux.
En effet, les recherches montrent que si les améliorations ESG peuvent stimuler la croissance dans les pays à revenu élevé, leur effet est bien plus faible dans les pays qui dépendent des ressources naturelles ou qui ne disposent pas des infrastructures nécessaires pour s’y conformer.
L’Afrique a besoin d’un modèle ESG recalibré, qui favorise l’accès à l’énergie, la sécurité alimentaire et la création d’emplois, parallèlement à la gestion environnementale. L’ESG ne doit pas être un obstacle, mais un catalyseur. Cela implique de développer des cadres de développement durable et des registres de crédits carbone pilotés par l’Afrique, comme la CEA a commencé à le soutenir dans des pays comme le Ghana.
Distingués participants,
Les déclarations ne manquent pas. Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est de la mise en œuvre, avec urgence, à grande échelle et avec courage.
Renforçons les partenariats efficaces. Démantelons les cloisonnements qui divisent. Investissons non seulement dans les infrastructures physiques, mais aussi dans les personnes : les enseignants, les infirmiers, les innovateurs et les entrepreneurs.
Nous devons repenser le rôle des dirigeants, non seulement en tant que gardiens des politiques, mais aussi en tant qu’architectes de la transformation. Un leadership audacieux, fondé sur des preuves et implacable dans ses réalisations.
L’Afrique n’a pas besoin de charité. Elle a besoin d’accès : l’accès à la technologie, au financement, au commerce équitable et aux opportunités. Et elle a besoin de dirigeants déterminés à libérer le plein potentiel de ses citoyens.
Faisons de ce forum plus qu’un simple débat. Qu’il soit un tournant. Un moment où nous nous engageons à bâtir une Afrique non seulement en pleine croissance, mais aussi en pointe.
Je vous remercie.